Le dessous des cartes

Publié le par Matil2

La réalité que le mot de francophonie recouvre n’est pas clairement perceptible par le grand public dans la mesure où se superposent des notions sociolinguistiques et institutionnelles. La carte de l’OIF est celle qui est le plus largement diffusée. Elle identifie les pays membres de cette organisation mais renseigne et questionne aussi d’autres aspects de la francophonie.

Le français dans le monde - Janvier-février 2006 - N°343


Une façon d’entrer dans la francophonie, c’est ouvrir devant soi une carte du monde comme un explorateur se préparant à l’aventure et tenter de comprendre ainsi la réalité de cette notion. Cette carte, officielle, est publiée par l’OIF. On y voit les continents s’organiser de façon symétrique, à partir d’un centre, l’Europe, l’Amérique à gauche, l’Asie à droite, l’Afrique en dessous. Et au cœur du centre, la France. Cette disposition est bien sûr classique des cartes européennes, mais il faut cependant rappeler que vue d’Asie, elle aurait eu un tout autre aspect. L’ensemble des terres émergées de la carte francophone que nous avons sous les yeux se présente comme une masse grise et uniforme où se distinguent des zones plus ou moins étendues, de larges aplats ou des tâches à peine perceptibles, couleur de sable clair, et une seule, puzzle recomposé, de teinte plus foncée en Europe orientale.
Au dessous des continents, flottant en plein océan antarctique, un alignement sur deux rangées de petits drapeaux devrait nous permettre de nous y retrouver. Ils sont ordonnés par ordre alphabétique, de A à V, d’Albanie à Vietnam.

Tous les continents

Les taches claires, comme l’indique la légende, signalent les « régions francophones du monde », les tâches sombres, les États observateurs, pas encore membres mais positionnés pour le devenir. Et déjà on hésite sur le terme à employer : État ou gouvernement. On pourrait dire aussi, si l’on en croit la guirlande de drapeaux et les indications sur la carte, régions, pays, territoires, départements… En effet on y trouve aussi bien des États constitués, entités politiques et géographiques, comme le Burkina Faso, ou le Cambodge, une Suisse fédération de cantons dont certains francophones, la communauté libre de Belgique, et même des départements d’outremer. Le deuxième terme, celui de « gouvernement », semble bien englober ces différentes modalités administratives qui ne constituent pas nécessairement un État.
C’est ainsi que l’on pourrait s’étonner de trouver dans la liste fournie par l’OIF, le Canada cité trois fois (Canada, Canada Québec, Canada nouveau Brunswick) et la Belgique deux fois (Belgique, Communauté libre de Belgique). Par ailleurs, les départements et territoires d’outremer français sont explicitement mentionnés sur la carte, mais ne figurent pas dans la liste des drapeaux, puisque, n’étant pas des États, ils n’en possèdent pas en propre.
Mais revenons à notre vision d’ensemble.

Si le premier constat, correspondant à la dimension mondiale affichée par le logo (un cercle composé de cinq arcs de couleur représentant chacun un continent, à la manière du symbole des jeux olympiques), est que tous les continents sont impliqués, il n’en reste qu’à l’évidence la répartition francophone est très inégale. L’Europe est peu concernée, limitée à la France, la Belgique, la Suisse et à quelques pays d’Europe centrale, observateurs et non encore membres, l’Asie est à peine tachée d’un coup de pinceau sur la péninsule indochinoise. Si l’Amérique du Nord est marquée par l’immense tâche du Canada, en revanche, il faut une loupe pour identifier, dans la partie sud du continent quelques confettis francophones, principalement insulaires la Guyane, Haïti et les Antilles françaises, Sainte Lucie et la Dominique. On constate aussi quelques absences criantes : l’Algérie ne serait pas francophone, et la Louisiane non plus… C’est l’Afrique qui se taille la part belle. Près de la moitié des pays de ce continent sont identifiés comme francophones.
Ces quelques constats nous laissent déjà soupçonner que cette francophonie n’est pas tout à fait linguistique : comment croire en effet que l’Albanie, la Grèce ou la Bulgarie puissent être francophones au même titre que le Maroc ou le Canada, alors que l’Algérie ne le serait pas ?

Francophonie polysémique

Une recherche sur Internet nous livre la clé de ce mystère : lorsqu’on écrit Francophonie avec une majuscule, on parle d’institutions et quand on parle de francophonie avec une minuscule à l’initiale, il s’agirait d’évoquer la situation linguistique.
Difficile de se repérer dans cette polysémie du terme. Qu’est ce qu’être francophone ? La définition étymologique est simple : un francophone est quelqu’un qui parle français, et même qui le parle couramment. Un élève vietnamien d’une classe bilingue est francophone, Andrei Makine, auteur russe qui écrit en français est francophone, un professeur de français colombien est francophone. Mais est francophone, en tant que ressortissant d’un pays qui l’est, n’importe quel individu qui ne l’est pas vraiment : si l’on se place du point de vue institutionnel, tout Bulgare est potentiellement francophone au même titre qu’un Monégasque ou un Cap verdien… Et un écrivain français est-il un écrivain francophone ?
Difficile de s’y retrouver dans cette complexité où l’adjectif francophone, malheureusement, ne prend jamais de majuscule pour nous servir de repère.
Mais revenons à notre carte, dont nous avons compris qu’elle est institutionnelle, et pas sociolinguistique. D’autres cartes existent, qui n’adoptent pas le point de vue des institutions mais simplement celui de la place qu’occupe le français dans les différent pays francophones, qui peut être langue maternelle, langue officielle, ou langue d’enseignement…1
L’inégale répartition des pays francophones selon les continents permet une typologie immédiate, dont la dimension historique saute aux yeux. Si le Canada, l’Afrique, la péninsule indochinoise, les pays du Maghreb, et les iles de la Caraïbe sont francophones, alors que d’autres pays sont anglophones, ou lusophones, ou hispanophones, c’est évidemment consécutif à l’expansion coloniale et à la concurrence que se firent les nations européennes sur l’ensemble du monde. D’autres pays comme le Liban, ou l’Égypte ont également des liens anciens avec la France, et une tradition de francophonie d’élite. La présence de certains pays de l’est de l’Europe peut paraitre plus surprenante aux néophytes qui comprendront cependant que le rattachement aux institutions francophones puisse émerger d’un désir de s’affirmer en tant qu’européen, de choisir un autre modèle qui ne soit ni soviétique ni anglo-saxon.
Nous pouvons déduire de cette lecture cartographique trois types de logiques d’appartenance francophone : une histoire coloniale, la présence ancienne d’une élite francophone et francophile, un tropisme européen. Cette marque importante de l’histoire coloniale (la majorité des pays sont concernés comme colonisateurs ou colonisés) explique sans doute en creux la réserve de l’Algérie, sans doute le pays le plus francophone du continent africain, qui se refuse pourtant à adhérer aux institutions francophones.

Sur cette carte aussi, on peut lire une histoire très contemporaine, celle de la mondialisation, celle de la partition du monde entre pays riches et pays pauvres, des pays très riches et des pays qui figurent parmi les plus pauvres du monde. Les uns et les autres sont réunis dans une même organisation multilatérale, dont on pourrait souhaiter qu’elle soit de plus en plus le lieu d’élaborations en commun, le lieu d’une politique solidaire qui prenne en compte, à bras le corps, les problèmes majeurs du développement et de l’environnement qui se pose à l’ensemble du monde. Parce que l’ensemble de ces problèmes, environnement, pauvreté, mondialisation, immigration se trouve posé, à échelle plus réduite, dans l’espace francophone, les conditions sont aujourd’hui réunies pour la construction d’un monde plus équitable.

Dominique Rolland



Note

1. Cf . Voir le site très complet, initié par le linguiste Jacques Leclerc : le Centre Interdisciplinaire de Recherches sur les Activités Langagières de l’université Laval au Québec proposant une carte et de nombreux renseignements à partir de son site Trésor de la Langue française au Québec et de sa base de données lexicographiques panfrancophones (tlfq.ulaval.ca ) . On consultera également le site du Carrefour International francophone de documentation et d’information (cifdi.francophonie.org).

Les institutions de la francophonie

L’organe politique de la Francophonie est l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) dont le secrétaire général est Abdou Diouf (depuis le Sommet de Beyrouth en 2002). Elle réunit 49 membres, 4 membres associés et 10 membres observateurs. À partir de janvier 2006 c’est l’OIF, et non plus l’Agence intergouvernementale de la francophonie (AIF) qui met directement en pratique les décisions prises par les Sommets des chefs d’État et de gouvernements ayant le français en partage. Les autres opérateurs sont l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) chargée de renforcer la coopération entre les universités francophones ; la chaine de télévision TV5 qui diffuse les programmes francophones dans le monde entier ; l’université Senghor d’Alexandrie et l’Association internationale des Maires francophones (AIMF). Le système est doté d’une Assemblée parlementaire francophone (APF). Les ministres de l’Éducation nationale se réunissent régulièrement quant à eux au sein de la CONFEMEN. Les instances de décision sont le Sommet des chefs d’État et de gouvernements qui se réunit tous les deux ans. Le prochain Sommet se tiendra à Bucarest, fin septembre 2006. La Conférence ministérielle de la Francophonie réunissant les ministres des Affaires étrangères (CMF) veille à l’exécution des décisions prises par les Sommets en relation avec le Conseil permanent de la Francophonie (CPF).

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